Stephen Carroll
Beatrix Cenci ou le féminisme à l’Opéra
En tant qu’ambassadrices de la Carte culture, nous avons eu le plaisir de découvrir l’œuvre Beatrix Cenci, un opéra créé en 1971 par le compositeur argentin Alberto Ginastera. Une nouvelle production était proposée par l’Opéra national du Rhin de Strasbourg du 17 au 25 mars et elle sera également programmée à La Filature de Mulhouse, le 5 et le 7 avril.
« Soit attentif car ce que tu vas voir c’est la vie d’un homme qui deviendra, par son mauvais exemple, un précurseur des temps à venir. » C’est ainsi que débute Beatrix Cenci, un opéra en deux actes, qui reprend l’histoire du Comte Francesco Cenci, un puissant aristocrate de Rome de la fin du xvie siècle, sans scrupules ni âme, ayant un seul objectif : posséder et violer le corps de Beatrix, sa fille.
Personne n’ose le contredire, ni sa famille, ni l’Église. Hélas, le pire se produit : ses deux fils, les seuls qui auraient pu s’opposer à son sadisme, meurent et Cenci est maintenant libre d’assouvir son désir. Ainsi, Beatrix est violée par son père. Cela laisse en elle un vide et un sentiment de vengeance implacable, qui la conduira, avec l’aide de deux hommes, à l’assassiner. Mais ce sera aussi sa sentence de mort.
A propos de l’œuvre et de l’auteur
Tout commence avec un tableau du xviie siècle. L’auteur, Guido Reni selon certains, dessine le portrait d’une jeune femme : il s’agit de Beatrice Cenci une jeune aristocrate romaine, ou au moins c’est ce que l’on dit. En effet, le mystère autour de ce tableau fascine les artistes, les écrivains, les cinéastes et les compositeurs depuis désormais des siècles – on cite notamment Stendhal, Dumas, Shelley, Moravia et bien sûr Ginastera. C’est grâce à cette œuvre que le compositeur argentin découvre le destin de Béatrice, dont l’histoire est basée sur des faits réels.
Le symbolisme est au centre de l’opéra. L’objectivation du corps de la femme, le pouvoir patriarcal, la rébellion et la corruption du système juridique sont les thèmes principaux. L’œuvre, dans une version moderne, aborde tous ces sujets, encore très actuels, et choque.
Le patriarcat et la révolution féminine
Dans l’histoire, Francesco Cenci est celui qui décide de tout et personne ne peut s’opposer à lui. On remarque en effet que le père de Beatrix est horriblement craint par sa fille, sa femme et toutes les personnes qui l’entourent. Issu d’une classe sociale noble, il est respecté et protégé par les plus grands, notamment par le pape, qui refuse de répondre aux appels au secours de Beatrix.
« Deux fois par an, fleurissent les roses. » Cette métaphore, centrale dans l’œuvre, illustre la transformation de Beatrix après le viol : elle n’est plus la même personne. Après avoir plongé dans une profonde souffrance, elle conquiert sa liberté en supervisant l’assassinat de son père. Néanmoins cette liberté ne sera qu’illusoire et éphémère car Beatrix est ensuite condamnée à mort. Malgré tout, elle meurt en femme forte et digne de respect. Cette pièce montre que, même si l’on ne peut pas se défaire de son passé, on peut le surmonter.
Notons qu’avant que le drame n’arrive, Beatrix chantait une chanson dédiée à l’éloge du phénix. Cela peut être vu comme une prémonition de sa renaissance et de sa transformation, mais montre aussi qu’au-delà de sa vie Beatrix est devenue immortelle. Elle dénonce par son histoire et sa mort toutes les violences faites aux femmes.
La tragédie
Béatrix meurt injustement, mais devient finalement une héroïne grâce à son histoire qui marquera plusieurs générations.
Elle n’est jamais écoutée, toujours déçue par les hommes. Lors de son jugement, elle tente de se défendre et d’implorer leur pardon mais malgré tout, elle demeure liée aux crimes de l’inceste et du parricide qui la conduisent, même dans la mort, à rester éternellement aux côtés de son horrible père.
Le parallélisme avec les tragédies grecques et notamment avec l’histoire de Phèdre et Hyppolite, dans laquelle le crime de l’inceste est central, semble évident. Néanmoins, autre que les tragédies grecques, on pourrait également comparer Beatrix à la figure d’Artemisia, l’une des premières femmes peintre véritablement connue du XVIe siècle : violée par un ami de son père, elle aura le courage de l’accuser devant un tribunal et sera ensuite condamnée pour ses actes. Elle garde également un rapport de rivalité et de forte opposition avec son père, symbole du patriarcat.
En conclusion, pourquoi aller voir cette opéra ?
Le décor et la scène majestueux de L’Opéra national du Rhin créent le cadre parfait pour cette œuvre tragique. La pièce nous a permis de découvrir la vie de Béatrix Cenci : le passé retrouve son écho dans le présent, où de telles monstruosités restent toujours, malheureusement, d’actualité. C’est une histoire qui choque et nous réveille : dans un monde où le mépris et l’humiliation semblent l’emporter, Beatrix représente l’envie de réagir face à la violence et à l’injustice d’une société machiste et sans cœur. Des actes d’une gravité inimaginable, qui nous laissent un goût amer. Que peut-on faire pour s’opposer à ces injustices ?
Un opéra bouleversant, un langage contemporain. L’objectif de Ginastera était d’établir une relation avec son public. Il a clairement réussi.
Francesca et Lozen, ambassadrices Carte culture
Grâce au dispositif missions professionnelles ALL-SHS de l’Institut de Développement et d’Innovation Pédagogiques (IDIP), la Carte culture propose aux étudiants de devenir des « Ambassadeurs Carte culture ». Se glisser dans la peau d’un spectateur et faire part de leur expérience culturelle : la Carte culture par les étudiants, pour les étudiants !