Grâce à Dieu, un film de François Ozon sorti le 20 février 2019, a été au centre des polémiques pour son caractère très actuel.
L’histoire tourne autour de l’association d’anciennes victimes, « La Parole libérée » et de leur combat pour parvenir à dénoncer les actes du père Preynat, accusé d’avoir violé des dizaines d’enfants dans les années 1980 et 1990. Bernard Preynat a été mis en examen en janvier 2016 et le cardinal Barbarin, responsable de la diocèse de Lyon à l’époque des faits, a été condamné, jeudi 7 mars 2019, à six mois d’emprisonnement avec sursis pour non-dénonciation d’agressions sexuelles. Ce film s’inscrit donc dans un contexte récent, réel et historique.
Pourquoi faut-il aller voir ce film et à quoi t’attendais-tu avant de le voir ?
Marion : Pour moi, il faut aller voir ce film car François Ozon, le réalisateur, a une esthétique cinématographique très belle et poétique qui permet d’avoir un certain recul sur l’affaire du père Preynat. Je m’attendais à très peu de chose car j’avais fait en sorte de ne pas être plongée dans toute l’effervescence médiatique. Et j’ai bien fait je pense, car sinon je me serais construite une opinion et un regard sur cette affaire, qui m’aurait empêché d’avoir une certaine liberté d’interprétation.
Francesca : Grâce à Dieu a fait la une des journaux français à cause des procédures juridiques qui ont menacé sa sortie. En suivant l’actualité, j’avais donc beaucoup d’attente pour ce long-métrage. En le regardant, j’ai réalisé à quel point cette histoire était compliquée et terriblement vraie. Cela m’a permis de concrétiser les événements sur lesquels j’avais tant lu.
Lozen : Avant de voir le film j’étais un peu sceptique, à vrai dire je ne m’attendais pas à être autant plongée dedans, néanmoins j’ai adoré ce film car il a été amené comme un film d’investigation. On suit très bien le déroulement de l’affaire et on s’attache aux personnages et leur histoire commune. Je pensais aussi voir des scènes choquantes mais tout a été amené avec beaucoup de délicatesse et de sous-entendus. Nos yeux n’étaient pas marqués par des images, mais notre esprit comprenait toute la gravité de la chose, ce qui est une très bonne réussite dans ce film.
Qu’est ce qui t’as le plus touchée ?
Marion : C’est le parcours d’Alexandre, François et Emmanuel, les victimes du père Preynat dans le film. Ça m’a bouleversée de voir l’évolution de leur combat, mais aussi leur détermination et leur sensibilité. Ce qui m’a aussi beaucoup touchée c’est que ce n’est pas seulement eux qui étaient au cœur du combat, mais toute leur famille. Et c’est dans ces moments-là, ces moments terribles, qu’on se rend compte de tout l’amour et de tout le soutien que peut nous apporter notre famille, sans qui le combat serait beaucoup plus difficile.
Francesca : Les scènes flash-back où l’on voit le père Preynat avec des enfants m’ont donné la chair de poule. Ce sont des moments très intenses qui nous marquent. Aussi, la réaction de la mère d’Alexandre, le premier à dénoncer ces actes obscènes, m’a profondément touchée. Une mère qui ne soutient pas son enfant dans un combat de ce genre, alors qu’il a subi des violences sexuelles, c’est pour moi quelque chose d’inimaginable et de terrifiant à la fois.
Lozen : Sur ce point je rejoins Marion, je trouve le combat de ces personnes vraiment admirable. De plus, on remarque que même s’ils viennent tous de milieux différents, qu’ils n’ont pas les mêmes avis sur la religion et que certains osent parler alors que d’autres non, ils sont tous liés par une même souffrance et un même personnage : le Père Preynat qui, malgré la souffrance qu’il a fait subir, est rendu humain. Tout d’abord, par le fait qu’il annonce durant ses multiples accusations qu’il se savait « malade » – pour reprendre les termes utilisés dans le film – et qu’il avait demandé à ses supérieurs dans l’Eglise de le destituer de ses fonctions, alors qu’ils n’ont rien fait. Cela prouve que, même s’il est incontestablement le principal acteur des souffrances engendrées sur ces enfants et actuels adultes, il n’est pas le seul responsable. Je trouvais aussi cela touchant de montrer que les femmes sont aussi victimes de viols (que ce soit dans l’Eglise ou non) et que le combat de leur compagnon/mari est le même pour elles. Enfin, le fait qu’Emmanuel souligne plusieurs fois qu’il est « zèbre » (terme psychologique désignant les personnes précoces à haut potentiel et hypersensibles) m’a touchée car on n’en parle encore aujourd’hui que très peu.
Trouves-tu ce film réussi ? Selon toi est-ce bien de parler d’un sujet aussi actuel et aussi polémique au cinéma ?
Marion : Personnellement, je trouve que c’est un film réussi car il porte un vrai message. Et ce message pour moi c’est qu’on a vraiment besoin de l’autre pour s’en sortir et mener un combat difficile, comme celui de ces trois hommes. Et aussi qu’on est jamais seul. Qu’Alexandre, finalement, ne s’est pas retrouvé seul à dénoncer son agresseur. Une parole collective s’est libérée. Une parole qui doit se libérer, même si on n’en ressort pas indemne. Je retiens ça de ce film qui mérite de porter cette affaire à l’écran, même si elle est au cœur de l’actualité. Car nous avons un autre regard et un certain recul sur l’affaire, que les médias nous empêchent d’avoir.
Francesca : Le cinéma est un moyen d’expression et d’opinion au même titre que n’importe quelle autre forme artistique. Je trouve que le fait de parler d’une affaire comme celle-ci montre à quel point l’art est influencé par la société. Ce film dévoile les dynamiques d’un événement considéré par beaucoup comme tabou et c’est ça qui fait sa force. Cependant, la vie quotidienne des représentants de l’association est mise beaucoup trop en avant. Cela nous fait oublier parfois que le vrai sujet du film, c’est la lutte contre la pédophilie au sein de l’Eglise.
Lozen : Je trouve ce film vraiment réussi, nous sommes entrainés dans l’histoire, les personnages nous transmettent leurs émotions, qu’on arrive à partager et même à comprendre. Il est aussi réussi car le réalisateur n’a pas présenté l’affaire de manière manichéenne. Le père Preynat souffre lui aussi et accepte complètement ses accusations, tout en pointant un autre coupable : l’Eglise qui de manière ambiguë essaye de cacher ces affaires de pédophilies pour garder une certaine « prestance » et apparence. Concernant cette affaire plus précisément, je trouve que ça a été un bon choix de la diffuser au cinéma, alors qu’elle fait polémique, car c’est tout d’abord un moyen d’affirmer la liberté d’expression et de dénonciation dans n’importe quel domaine (médias comme cinéma). Puis, dans un second temps, le fait que le grand public puisse aller voir et découvrir cette affaire grâce à un film permettra de prendre conscience de l’importance de ce combat.
Par Francesca, Lozen et Marion, ambassadrices Carte culture
Grâce au dispositif missions professionnelles ALL-SHS de l’Institut de Développement et d’Innovation Pédagogiques (IDIP), la Carte culture propose aux étudiants de devenir des « Ambassadeurs Carte culture ». Se glisser dans la peau d’un spectateur et faire part de leur expérience culturelle : la Carte culture par les étudiants, pour les étudiants !